À l’origine, personne dans le village de Dondon n’aurait pu deviner que le petit Élysée Augustin Eustache, né le 7 septembre 1918, passerait ainsi à l’histoire, non seulement dans son pays, mais également au Québec.

Après des études secondaires à Cap-Haïtien, Élysée s’inscrit à l’École nationale d’agriculture d’Haïti où il obtient, au printemps 1942, son diplôme d’agronome. Grâce à son excellent dossier académique, il reçoit une bourse du gouvernement qui lui confie une importante mission : devenir le premier haïtien à décrocher un diplôme de médecine vétérinaire.

Mais comme la seule école vétérinaire francophone de toutes les Amériques est située au Québec, l’éloignement est l’unique solution. C’est ainsi qu’à 24 ans, le jeune Élysée quitte famille et amis pour l'École vétérinaire d’Oka affiliée à l'Université de Montréal. Ses efforts sont récompensés au printemps 1946 par l’obtention de son diplôme de médecin vétérinaire. Il devient ainsi le premier Haïtien et le premier issu de la communauté noire au Québec à accéder à cette profession.

Une fois ses études terminées, Élysée retourne dans son île  accompagné de sa nouvelle épouse québécoise Cécile Baillairgé. Il accède au poste d’assistant à la nouvelle section de Médecine vétérinaire du département de l’Agriculture. Il travaille au traitement des animaux dans des cliniques publiques dans les environs de Port-au-Prince, s’occupe de la surveillance médicale du cheptel expérimental des fermes nationales de Damien et du Plateau central (maladies, parasites, vaccinations, alimentation), étudie les différentes épizooties du pays et participe au programme de vaccination animale, particulièrement le charbon.

Il enseigne également de 1946 à 1964  les sciences vétérinaires (anatomie, physiologie, pathologie, bactériologie) à l’École nationale d’agriculture de l’université d’Haïti. De 1953 à 1964, seul vétérinaire au pays, il est responsable de tous les détails relatifs aux lois et leur application sur l’importation d’animaux, la prévention à l’échelle nationale des maladies des animaux, de la supervision des cliniques pour les grands et petits animaux, de la direction du Laboratoire de diagnostics vétérinaires, des campagnes de vaccination annuelle contre le charbon, le choléra des porcs et les maladies de volailles.

Toutefois, à la suite de l’arrivée au pouvoir de François Duvalier, la situation à Haïti  se dégrade et le Dr Eustache qui sera éventuellement arrêté et torturé  songe sérieusement à quitter son île afin de protéger sa famille. N'ayant pas d'autres choix, en  1964, le Dr Eustache, sa femme et leurs onze enfants déménagent donc à Montréal.  

Il accepte alors un poste à la direction de l’hygiène vétérinaire au ministère fédéral de l’Agriculture à Toronto. Il travaille à l’inspection ante et post mortem pour l’abattoir Canada Parkers.  Après quelques mois loin de sa famille, en novembre 1965, il est transféré à Montréal.

De 1972 à 1975, à la demande de Banque Interaméricaine de Développement (BID), il retourne à Haïti pour prendre en charge l’inspection des viandes et le Service vétérinaire haïtien.  Puis en 1975, il s’installe définitivement au Québec et  poursuit sa carrière comme inspecteur au Service d’hygiène du ministère de l’Agriculture du Québec, jusqu’à sa retraite en 1982.

Le Dr Eustache décède le 21 avril 1996, laissant derrière lui une très nombreuse descendance et le souvenir d’un homme libre penseur, intègre et infatigable qui, selon ses proches, a prôné la tolérance, le respect, la justice pour son peuple, et une confiance infinie dans la science pour améliorer le sort de la planète.

	Le plaisir de découvrir les hivers québécois et le patinage ! Photo: courtoisie de la famille Eustache.
	Mosaïque des six diplômés en médecine vétérinaire de l’Université de Montréal en 1946. À noter l'erreur sur le prénom. Photo: archive de l'Université de Montréal.

Source: Dossier d'enquête: D'hier à aujourd'hui, quelle place occupe la communauté noire au sein de la profession vétérinaire au Québec ? En attente de publication dans l'édition été 2022 du magazine Le Rapporteur de l'Association des médecins vétérinaires du Québec en pratique des petits animaux.

L'auteur est le Dr Michel Pepin, auteur du livre Histoire et petites histoires des vétérinaires du Québec et membre fondateur de la Société de conservation du patrimoine vétérinaire québécois.