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Tous pour Une seule santé

Le concept Une seule santé a souvent été évoqué dans les dernières années, notamment en raison de la pandémie, mais il existe pourtant depuis fort longtemps. Hélène Carabin, professeure titulaire au Département de pathologie et microbiologie de la Faculté de médecine vétérinaire et au Département de médecine sociale et préventive de l’Université de Montréal, nous parle de cette approche, et de son rôle déterminant dans la préservation des santés humaine, animale, ainsi que celle des écosystèmes.

Une seule santé fait partie de l’univers d’Hélène Carabin depuis plusieurs années. Elle travaille activement à son rayonnement et aux stratégies à mettre en place pour assurer son déploiement. En plus de son rôle de professeure à l’Université de Montréal, elle est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en épidémiologie et Une seule santé, directrice du Groupe de Recherche en Épidémiologie des Zoonoses et Santé Publique (GREZOSP), responsable de l’axe Une seule santé du monde pour le Centre de recherche en Santé Publique (CReSP), co-directrice du Réseau global Une seule santé sur la gouvernance des maladies infectieuses et l’antibiorésistance, co-directrice du réseau une seule santé sur la modélisation des infections, ainsi que commissaire sur le Lancet One Health Commission1. De plus, elle est membre du comité consultatif scientifique sur la santé mondiale des Instituts de recherche en santé du Canada, d’Affaires mondiales Canada, du Centre de recherches pour le développement international (CRDI) et du Bureau des affaires internationales (BAI) pour le portefeuille de la Santé de Santé Canada et de l’Agence de la santé publique du Canada.

Selon Hélène Carabin, il faut cesser de voir l’humain comme une espèce d’exception. « L'humain n’est que l’une des quelque 8,75 millions d’espèces vivantes estimées sur la planète.  Malgré son cerveau développé, il est responsable d’avoir détruit une grande partie des environnements qui l’entoure et qu’il partage avec les autres espèces vivantes. En s’isolant dans de grandes tours, il s’est peu à peu coupé de son environnement, et a oublié que sa santé est très étroitement liée à celle des animaux et de l’environnement ». 

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Qu’est-ce qu’Une seule santé, au juste? Pour résumer simplement, il s’agit d’une approche qui a pour objectif ultime d’assurer la santé du vivant. Un énoncé officiel plus exhaustif a été adopté par les grandes organisations internationales, soit l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l'Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA), et le Programme des Nations Unies pour l’environnement (UNEP).  

Le principe « Une seule santé » consiste en une approche intégrée et unificatrice qui vise à équilibrer et à optimiser durablement la santé des personnes, des animaux et des écosystèmes. Il reconnaît que la santé des humains, des animaux domestiques et sauvages, des plantes et de l’environnement en général (y compris des écosystèmes) est étroitement liée et interdépendante. 

L’approche mobilise de multiples secteurs, disciplines et communautés à différents niveaux de la société pour travailler ensemble à fomenter le bien-être et à lutter contre les menaces pour la santé et les écosystèmes. Il s’agit également de répondre au besoin collectif en eau potable, en énergie propre, en air pur, et en aliments sûrs et nutritifs, de prendre des mesures contre le changement climatique et de contribuer au développement durable2.

Une origine lointaine

Les principes derrière Une seule santé sont très anciens, comme en témoigne l’histoire. Déjà, à l’époque de l’Antiquité, le médecin grec Hippocrate3 a établi un lien entre la santé humaine et celle de l’environnement. Dans son traité Des airs, des eaux et des lieux, il mentionnait : « Pour approfondir la médecine, il faut considérer d’abord les saisons, connaître la qualité des eaux, des vents, étudier les divers états du sol et le genre de vie des habitants ». 

Mme Carabin évoque une autre page d’histoire datant du Moyen Âge. Dans son ouvrage « Histoire des peurs alimentaires », l’historienne française Madeleine Ferrières se penche sur l’histoire de la charte de Mirepoix. « Mirepoix était une cité cathare dans le sud de la France. Au sein de cette religion, les parfaits4 étaient végétariens. Ils ont voulu imposer ce régime à toute la ville ». Cette exigence a suscité le mécontentement des bouchers et des membres de la population qui n’étaient pas cathares. En conséquence, une charte de la boucherie a été instaurée en 1303 pour réglementer la vente de viande. Elle stipulait que les bouchers pouvaient continuer à offrir leurs produits, pourvu qu’ils proviennent d’animaux sains. « L’intérêt d’avoir accès à une viande de qualité provenant d’animaux en santé date de fort longtemps. L’inspection des viandes n’est pas un concept nouveau » résume Mme Carabin. 

Juste après la Révolution française, l’anatomiste français Fragonard5, concepteur des écorchés6, a développé une technique particulière pour assécher les muscles et les nerfs de corps d’animaux et d’humains, permettant de les conserver. Ses modèles étaient utilisés à la fois pour la formation de médecins humains et de médecins vétérinaires en anatomie et en physiologie. « Le concept voulant que l'anatomie, la physiologie et certaines pathologies se ressemblent entre les deux médecines est tout de même assez ancien », explique-t-elle. 

L’apport de l’environnement dans l’équation est quant à lui, relativement récent. C’est à la suite d’un épisode de grippe aviaire au début des années 2000, puis de la première épidémie de SRAS en 2003, que l’approche Une seule santé a émergé vers 2004 ou 2005. 

Une seule santé à l’UdeM 

Dès son arrivée à l’UdeM en 2018, Mme Carabin s’est consacrée au groupe de travail Une seule santé du projet Construire l’avenir durablement (CLAD), avec d’autres collègues. « Nous avons commencé à développer l’idée de l’approche Une seule santé ». En parallèle, est née l’idée de créer un programme de Ph. D. transfacultaire, avec Cécile Aenishaenslin, professeure adjointe au Département de pathologie et microbiologie de la Faculté de médecine vétérinaire de l’UdeM, ainsi que d’autres collègues de l’École de santé publique, la Faculté des sciences infirmières et la Faculté de médecine de l’UdeM. Ce nouveau programme vise à encourager les chercheurs, chercheuses à travailler de concert pour amorcer des demandes de subventions communes et transdisciplinaires. C’est d’ailleurs l’un des projets phares de l’Université de Montréal.  

Cette approche, bien que connue depuis longtemps, demeure peu adoptée. Lorsqu’elle le sera, elle permettra de faire avancer la science plus rapidement en mode collaboratif, et ce, autant en médecine comparée que pour les approches multisystémiques. « Ceci va complètement à l’encontre des systèmes actuels de promotion des professeurs et professeures, qui mettent de l’avant les travaux d’un chercheur, d'une chercheuse ou qui décernent des prix à un seul individu. Il ne s’agit plus de viser la gloire professionnelle individuelle, mais de viser le bien commun en faisant partie d’une grande équipe ». 

L’apport de la médecine vétérinaire 

Il est maintenant reconnu que la médecine vétérinaire est un précurseur et un influenceur important dans l’approche Une seule santé. « Dans les milieux pauvres, comme en Afrique, ce qui saute aux yeux comme médecin vétérinaire, c’est le puissant lien qui unit les humains, les animaux et l’environnement ». À la ferme, le contexte dans lequel sont élevés les animaux est déterminant pour leur santé. La santé de l’éleveur et de l'éleveuse qui vit en promiscuité avec ses animaux, est étroitement liée à celle de son élevage. « Lors d’un voyage en Tanzanie, j’ai visité un village où il n’y avait pas d’électricité. Les habitants faisaient entrer leurs animaux à l’intérieur chaque soir pour éviter qu’ils ne soient attaqués par les prédateurs. Ils vivaient littéralement en communauté avec leur élevage. Ils étaient aussi complètement dépendants de la météo. Leur santé, celle des animaux et l’environnement qui les entoure sont tellement imbriqués, qu’il est tout simplement impossible de ne pas tenir compte de tout ceci », résume Mme Carabin. C’est sans doute un facteur qui explique pourquoi les médecins vétérinaires ont observé ces liens plus facilement. Selon elle, les pays pauvres sont beaucoup plus disposés que les pays riches à collaborer dans une vision Une seule santé. « Nous aurions avantage à tirer des leçons de ce qu’ils accomplissent, et ce, avec très peu de moyens financiers. Ils acceptent volontiers de partager leurs connaissances. ». Par ailleurs, la médecine vétérinaire étudie une foule d’espèces animales. « Pour nous, l’humain n’est qu’une espèce parmi tant d’autres et nous observons des similitudes entre les espèces. Nous possédons cette ouverture d’esprit par défaut ». 

Les experts et expertes en environnement partagent aussi une vision écosystémique de la santé. Les écoles de santé publique sont également ouvertes au concept, comme il est question de déterminants sociaux de la santé. En médecine humaine, l’approche demeure toutefois très axée sur la santé humaine, simplement parce que les médecins spécialistes sont traditionnellement formés pour traiter une partie du corps humain. Il y a donc un pas à franchir pour passer aux animaux. Il y a néanmoins certains ambassadeurs vedettes de l’approche Une seule santé en médecine humaine qui contribuent à faire bouger les choses. Mme Carabin mentionne comment Barbara Natterson-Horowitz7, une médecin cardiologue, a initié un changement de mentalités. En 2005, le Zoo de San Diego, en Californie, a invité Mme Natterson-Horowitz à pratiquer une chirurgie cardiaque complexe sur un gorille. L’établissement ne possédait pas l’équipement ni l’expertise au sein de l’organisation pour pratiquer ce type de chirurgie. L’intervention a été pour elle, une véritable révélation : un cœur de gorille était similaire à celui… d’un cœur humain. Elle a senti le besoin de mieux faire rayonner ces similitudes et ces liens entre humains et espèces animales. Elle a publié un livre à ce sujet, Zoobiquity8, et elle a organisé divers séminaires réunissant des médecins humains et des médecins vétérinaires afin d’échanger sur différentes pathologies. 

Les défis de la collaboration transdisciplinaire 

Travailler en collaboration avec des collègues issus de différents champs d’expertise est certes enrichissant, mais pose certains défis. « C’est vraiment difficile! » s’exclame Mme Carabin. Elle a travaillé avec des collègues en sciences sociales, qui sont impliqués dans le réseau sur la gouvernance d’Une seule santé des maladies infectieuses et de la résistance aux antimicrobiens (RAM). « Au départ, c’était tout un challenge, car nous n’avions pas les mêmes approches ni le même vocabulaire. Notre façon de publier était aussi complètement différente. Comme épidémiologiste, je vise à rédiger une phrase en cinq mots. J’ai une vision plus cartésienne. Une personne avec une formation en sciences sociales peut, quant à elle, rédiger une phrase de 30 mots pour dire la même chose, parce qu’elle apporte des nuances, pousse différentes options. Nous avons dû faire preuve d’humilité et apprendre à respecter des approches qui n’étaient pas les nôtres ».

Les priorités à l’agenda d’Une seule santé au Canada

Plusieurs priorités sont à l’agenda d’Une seule santé au Canada. Mme Carabin a été invitée à participer à un groupe de travail sur Une Seule santé de la Société royale du Canada pour développer une note de breffage, publiée en juin 20229, qui émet une vingtaine de recommandations. Parmi celles-ci, il y a la création d’un système de gouvernance qui pourrait être appliqué aux différents paliers décisionnels et qui combinerait plusieurs secteurs. « Ceci permettrait aux membres de se connaître et de se faire confiance, afin de favoriser la mise en place de programmes plus transversaux ». 

Par ailleurs, il est question de sensibiliser les élèves dès le plus jeune âge au concept Une seule santé, en intégrant cette notion à tous les niveaux d’éducation. Cette recommandation nécessite de former le personnel enseignant et, surtout, de revoir la structure du système académique actuel. « Nous avons tendance à segmenter les domaines, plutôt que d’adopter une approche transversale. Tout est compartimenté : les départements des universités, les ministères, les budgets, les subventions… ». 

Il est proposé également de repenser les systèmes d’attribution de subventions pour la recherche, qui sont complètement segmentés. Des discussions ont été entamées à ce sujet, mais il reste du chemin à parcourir, comme elle impacte plusieurs groupes. « Les évaluateurs et éleveuses sont moins familiers avec la notion d'interdisciplinarité en recherche. À mon avis, il faudrait leur offrir une formation sur l’interdisciplinarité en santé, pour leur permettre d’évaluer les dossiers de façon plus avisée », partage Mme Carabin.

Une approche préventive 

La prévention est l’un des moyens préconisés par l’approche Une seule santé, pour arriver à protéger le vivant. « La rage est un exemple extraordinaire d'une approche Une seule santé. En vaccinant les chiens, on protège à la fois la santé des animaux et celle des humains ». 

Mme Carabin donne aussi l’exemple du parasite Taenia solium, un ver plat qui vit dans les intestins des humains. L’humain peut devenir infecté après avoir consommé de la viande de porc contaminée. Les œufs des larves se retrouvent aussi dans les selles, pouvant contaminer un autre humain. La larve peut se loger dans le cerveau et causer des crises d’épilepsie et autres problèmes neurologiques. Il est possible de prévenir cette infection en agissant sur l’environnement par différents moyens : 

  • En consultant les communautés pour trouver des solutions afin d’encourager la construction, le maintien et l’utilisation des latrines dans les pays pauvres;
  • En se lavant les mains régulièrement et en nettoyant les fruits et les légumes avant de les consommer;
  • En ayant recours à des médecins vétérinaires pour l’inspection des viandes;
  • En travaillant avec les éleveurs et les éleveuses, pour trouver des solutions durables, qui leur permettraient de placer les porcs dans des enclos, pour éviter qu’ils ne mangent des selles humaines. 

« Il est fascinant de constater que ces solutions permettent de prévenir l’épilepsie, une maladie neurologique non transmissible, en jouant sur l’environnement, puis la santé animale ». 

Le pouvoir de changer les choses

La population a aussi la capacité de faire bouger les choses en adoptant l’approche Une seule santé. Mme Carabin évoque spontanément la représentation auprès des dirigeants et des dirigeantes à tous les niveaux : scolaire, municipal, provincial, fédéral et international. Également, en modifiant simplement certains comportements. « L’humain a la capacité de détruire le vivant, mais il a aussi la capacité de le protéger. Il revient à nous d’élever nos enfants en leur enseignant comment agir pour protéger le monde vivant ».  

  • En ne visant pas des gazons verts à tout prix qui nécessitent l’utilisation de pesticides, qui peuvent tuer les pollinisateurs.  
  • En optant pour des véhicules électriques, en prenant le transport en commun ou en utilisant davantage le vélo pour se déplacer. 
  • En limitant les déchets. « Les déchets de plastiques peuvent tuer des grenouilles et autres espèces animales ». 
  • En essayant de moins consommer, et surtout, de ne pas gaspiller. « Il y a énormément de gaspillage alimentaire. C’est l’une des causes de la surproduction alimentaire et de la destruction des milieux naturels ». 
  • En évitant que l’humain n’envahisse les milieux naturels, causant la destruction des écosystèmes et contribuant à l’émergence de nouvelles maladies infectieuses chez certaines espèces.

Ce ne sont que quelques exemples, mais en somme, il s’agit de se responsabiliser soi-même. « Et de réfléchir aux conséquences plus larges et à la portée de nos actes », conclut-elle.  

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1 Le Lancet One Health Commission regroupe plusieurs chercheuses et chercheurs issus de différentes disciplines à travers le monde. Les membres de la commission collaborent ensemble afin de réfléchir et proposer des solutions pour répondre aux défis de santé publique mondiale, dans une perspective Une seule santé. Le regroupement doit publier ses recommandations dans un avenir rapproché. 

2 Source : Organisation mondiale de la Santé

3 v 460-377 av. J.-C.

4 Membres de l’Église.

5 Honoré Fragonard, Anatomiste français (1732-1799). 

6 Collection de corps d’animaux et d’humains qui ont été conservés sans la peau, mais avec les organes internes visibles. Les écorchés sont exposés au Musée Fragonard de l’École vétérinaire de Maison-Alfort en France.

7 Pour plus d’information: https://www.bnatterson-horowitz.com/

8 Zoobiquity: The Astonishing Connection Between Human and Animal Health, Dr Barbara N. Horowitz, Kathryn Bowers.

9 Source : Mubareka, S., et. al. Renforcer l’approche Une seule santé pour lutter contre les zoonoses émergentes. Société royale du Canada. 2022.