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Une approche collaborative pour prévenir la transmission de la maladie de Lyme

Une équipe composée de quatre membres de la Faculté de médecine vétérinaire travaille sur des projets visant la mise en place de stratégies durables pour prévenir la maladie de Lyme dans des secteurs clés de la province. 

Pour Cécile Aenishaenslin, professeure agrégée au Département de pathologie et microbiologie de la Faculté de médecine vétérinaire (FMV), Une seule santé rime avec collaboration. Quand la proposition d’entrevue sur ses projets de recherche a été lancée, elle a spontanément suggéré d’inviter à la table de discussion ses collègues chercheurs Catherine Bouchard, Jean-Phillippe Rocheleau et Patrick Leighton, avec qui elle travaille en synergie. 

Profil de l'équipe

Cécile Aenishaenslin

En plus d’être médecin vétérinaire de formation, Cécile Aenishaenslin a un profil interdisciplinaire. Elle a réalisé des études internationales sur le thème Une seule santé, a travaillé sur différents projets de santé publique, puis a réalisé un doctorat en épidémiologie à la FMV sur la maladie de Lyme, avec une perspective axée sur la santé publique. Elle a complété un post-doctorat en santé publique en évaluation de programmes à l’Université McGill. 

« J’apporte à l’équipe une vision de santé publique et l’expertise d’opérationnalisation d’une approche intertransdisciplinaire ».

Catherine Bouchard

Catherine Bouchard est professeure associée au Département de pathologie et microbiologie de la Faculté de médecine vétérinaire. Elle a complété un doctorat à la Faculté de médecine vétérinaire en épidémiologie, pour, par la suite, travailler pour le compte de l’Agence de santé publique du Canada. Elle est médecin vétérinaire épidémiologiste, et agit à titre de chercheure au gouvernement fédéral. 

« Nous tentons de mieux comprendre l’émergence des maladies transmises par les tiques qui ont un impact en santé publique. Nous menons plusieurs études sur le terrain pour identifier les caractéristiques environnementales et climatiques liées à leur présence. Plus récemment, nous avons amené la dimension humaine, en nous intéressant aux connaissances et aux comportements humains face aux tiques ».

Jean-Philippe Rocheleau

Jean-Phillippe Rocheleau est professeur associé au Département de pathologie et microbiologie à la FMV. Il a enseigné durant une dizaine d’années en technique de santé animale au Cégep de Saint-Hyacinthe après avoir passé deux années de pratique en médecine des animaux de compagnie. Il a ensuite complété un Ph. D. en épidémiologie, portant sur les maladies transmises par les moustiques.

« Nous travaillons ensemble sur les maladies transmises par les tiques. Nous adoptons des approches de niveau technique pharmacologique et clinique à l'application d'un phénomène qui est biologique et naturel ».

Patrick Leighton

Patrick Leighton est professeur titulaire au Département de pathologie et microbiologie de la FMV. Il se distingue par son expertise en écologie et en biologie. Il a rejoint la Faculté de médecine vétérinaire afin de démarrer avec d’autres collègues un programme en santé publique vétérinaire de 2e cycle1, qui s’inscrit dans une vision Une seule santé.

« Nous avons apporté une vision globale humain-animal-environnement, suggérant que les écosystèmes en santé soutiennent la santé des animaux. Ceci explique que la perturbation des écosystèmes, notamment avec les changements climatiques, peut influencer la transmission de maladies ».  

Comme le résume Catherine Bouchard, la cohésion de l’équipe est solide. « Nous avons de belles complémentarités dans nos forces, dans nos profils et nos méthodes de travail. Nous avons mené plusieurs projets de recherche ensemble et notre collaboration perdure ».

La maladie de Lyme au Québec

L’équipe de chercheurs et de chercheuses s’intéresse tout particulièrement à la maladie de Lyme, qui est en émergence au Canada. Cette maladie se transmet par une piqure de tique infectée par la bactérie Borrelia burgdorferi. Pour l’heure, au Québec, les deux régions les plus impactées sont l’Estrie et la Montérégie. « Plusieurs personnes pensent à tort que les tiques à pattes noires sont arrivées de nulle part en Estrie, en réponse aux changements climatiques », mentionne Patrick Leighton. Or, en observant l’étendue géographique des zones où le climat est favorable pour les tiques, la zone s’étire bien plus au nord que l’Estrie et la Montérégie. Une combinaison de différents facteurs fait en sorte que l’Estrie et la Montérégie ont été particulièrement affectées par la maladie de Lyme jusqu’à maintenant. L’émergence de la maladie est relativement récente et remonte aux années 1970. La tique à pattes noires a commencé à agrandir son territoire à travers les États-Unis, puis s’est introduite au Québec vers les années 1990 à 2000. 

« L’Estrie et la Montérégie partagent deux éléments qui les rendent spécialement favorables à l’émergence de la maladie, soit un climat et un environnement qui sont propices à la multiplication des tiques », explique Patrick Leighton. Ainsi, comme ces régions sont situées au sud de la province, il y fait plus chaud, plus tôt au printemps. Elles sont également caractérisées par un milieu forestier avantageux pour les chevreuils, avec une forte densité de cervidés, qui facilite une insertion plus rapide des tiques. 

tamia rayéPlus les populations de tiques à pattes noires sont établies depuis longtemps dans un secteur, plus les prévalences d'infection chez les tiques tendent à augmenter, jusqu'à ce qu'elles atteignent un plateau. Avec les changements climatiques, les populations de tiques se sont déplacées de zones où elles étaient bien établies pour coloniser de nouveaux habitats. Elles voyagent sur les oiseaux migrateurs et les cerfs, qui parcourent de grandes distances. Peu à peu, les tiques apprennent à survivre dans leur nouvel habitat et deviennent plus abondantes. C’est à ce moment que les prévalences et les proportions de tiques infectées augmentent. « La proportion de tiques infectées est très variable et fluctue d’une année à l’autre », explique Catherine Bouchard. « En général, dans le sud du Canada, elle oscille entre 10 % et jusqu’à 50 %. Quand il s’agit d’une tique infectée sur deux, cela fait plusieurs années que les populations sont bien installées », précise-t-elle. Les principaux réservoirs de la bactérie Borrelia burgdorferi sont la souris à pattes blanches et la souris sylvestre. D’autres espèces de rongeurs peuvent aussi être infectées et retransmettre l’infection, comme les tamias rayés ou les écureuils roux. 

Le cerf n’est pas considéré comme un réservoir, car il ne transmet pas la bactérie. Il est plutôt un hôte reproducteur. Les tiques adultes se tiennent sur le cerf et la femelle y prendra son dernier repas de sang. Pendant ce temps, le mâle cherche des femelles dans la fourrure du cerf pour les féconder. Quand la femelle a terminé son repas, elle redescend sur le sol, dans la litière de feuilles. Quelques semaines plus tard, au printemps, elle y pondra entre 2 000 et 3 000 œufs. Les tiques sont sensibles à la température et à l’humidité et ne survivent pas à la déshydratation. C’est pourquoi elles s’établissent à l’abri du soleil, dans les forêts et dans la litière de feuilles d’automne, qui sont gorgées d’humidité. Durant l’hiver, elles se réfugient sous une couche de neige pour mieux survivre.  

Patrick Leighton a réalisé une étude de la vitesse estimée de la prolifération des tiques vers le nord. « Nous avons analysé les tiques rapportées par les médecins vétérinaires en clinique. Nous avons constaté que les changements climatiques sont en quelque sorte un combustible qui agit comme accélérateur dans ce processus de propagation. Dans les années les plus froides, nous pouvons observer une cadence d’expansion d’une trentaine de kilomètres par année. Avec le réchauffement observé dans les dernières années, la vitesse de progression est passée de 45 à 50, voire même 60 kilomètres par année, dans les périodes les plus chaudes », explique-t-il. Logiquement, si le climat se réchauffe davantage, le rythme de propagation sera proportionnel. Du coup, la zone s’étend davantage vers le nord. « Avec les changements climatiques, nous pourrions éventuellement retrouver des tiques à Val-d’Or ». 

Catherine Bouchard ajoute un exemple pour illustrer cet effet de « combustible » lié au réchauffement climatique. Alors qu’elle menait son doctorat en 2007 et 2008, elle travaillait sur le terrain en Estrie et en Montérégie pour analyser la tique à pattes noires. Après deux années de collecte intensive, de mai à octobre, elle avait recueilli environ 1 000 tiques pendant tout son projet. « Avec le projet Bromont de l’été 2022, l’une des étudiantes sur le terrain a amassé 1 000 tiques… en seulement deux mois. Là où la tique était présente, elle devient désormais beaucoup plus abondante », relate-t-elle. « Il y a aussi des régions où elle est maintenant répertoriée, alors qu’elle n’était pas présente, il y a tout juste 15 ans ». C’est le cas entre autres au nord du fleuve Saint-Laurent.  

Deux projets de recherche déterminants pour contribuer à prévenir la maladie de Lyme 

L’équipe de chercheurs et de chercheuses a travaillé à l’élaboration et au déploiement de deux projets faisant appel à une approche multidisciplinaire et ayant pour objectif de prévenir la maladie de Lyme. Le premier, le projet Bromont, a démarré en 2019, en collaboration avec la municipalité et la MRC Brome-Missisquoi. Ce projet, qui est toujours en cours, comporte deux volets principaux, soit un volet environnemental et un volet communautaire. Le premier volet consiste à distribuer un traitement contre les tiques (un acaricide) aux rongeurs qui sont porteurs de la maladie de Lyme. Le volet communautaire vise quant à lui à sensibiliser la population à propos des comportements préventifs à adopter pour prévenir la maladie de Lyme. 

Ensuite, le projet Parcs en santé, qui est en phase de démarrage, vise à mettre en œuvre une stratégie d’intervention pour protéger les écosystèmes des parcs, tout en réduisant les risques pour la santé humaine dus aux maladies transmises par les tiques. Six parcs périurbains ont confirmé leur participation au projet. 

  • Région de Montréal : Les parcs-natures de la Pointe-aux-Prairies et du Bois-de-l’île-Bizard.
  • Montérégie : Le parc Michel-Chartrand à Longueuil, le parc national du Mont-Saint-Bruno et le parc national des îles de Boucherville. 
  • Estrie : Le parc national de la Yamaska à Granby.

chevreuil« Ce sont des parcs qui sont aux prises avec une double problématique, soit l’émergence des maladies transmises par les tiques et une perte de biodiversité. Ce dernier aspect est une conséquence de l’activité humaine environnante, incluant la surabondance de cerfs, et la surutilisation de ces parcs nature périurbains par les humains », explique Cécile Aenishaenslin. Les endroits où sont localisés ces parcs fourniront un gradient de l’évolution de la situation de l’est vers l’ouest, dans une zone où il y a une problématique d’émergence. 

Le projet Parcs en santé comporte trois volets distincts. À l’instar du projet Bromont, un volet de science citoyenne est planifié. Il permettra cette fois à des citoyens et des  citoyennes volontaires de participer à des rencontres scientifiques, à la collecte de données et à des ateliers d’information. Un autre volet se penchera sur l’analyse des populations de cerfs de Virginie et la restauration de la végétation et de la biodiversité. Finalement, le troisième volet vise à mieux comprendre les liens entre l’abondance des cerfs et des tiques dans les parcs, et prévoit aussi de poursuivre l’évaluation du traitement des rongeurs contre les tiques comme mesure préventive de la transmission des agents pathogènes vers l’humain. 

Traiter des rongeurs dans l’environnement

Le traitement des rongeurs a été testé initialement aux États-Unis à partir des années 1980, avec des acaricides ou des insecticides topiques. Ce type de soin en pleine nature pose quelques défis. « Lorsqu’un animal domestique est traité pour une maladie, il y a une forme de contrôle, avec un protocole, un dosage et une fréquence. Traiter une population d’animaux sauvages est une tout autre chose », explique Jean-Philippe Rocheleau. Des techniques spéciales doivent être utilisées pour que les souris soient attirées par l’acaricide. Ensuite, la méthode pour administrer le traitement doit fournir une dose efficace, mais qui, à la fois, limite l’apparition de résistance. Et comme les traitements sont donnés dans l’environnement, il importe de limiter les effets secondaires et délétères de leur présence dans la nature. Les scientifiques doivent aussi s’assurer de ne viser que les rongeurs. « En ce sens, ce traitement est intéressant, car il propose une alternative ciblée aux traitements déployés à grande échelle, comme nous avons pu le voir dans certaines régions d’Amérique du Nord. Épandre des acaricides ou des insecticides de façon importante dans l’environnement est néfaste pour les pollinisateurs et la biodiversité », dit Jean-Philippe Rocheleau. 

C’est une chose de traiter une zone en particulier, mais il est déraisonnable, voir irréaliste de penser traiter une très grande aire naturelle. « L’idée n’est pas de perturber les phénomènes naturels, mais d’essayer de protéger la population. Au départ, il s’agit principalement d’une opération de santé publique », précise M. Rocheleau. Il est pertinent d’agir dans des zones tampons entre la forêt et la présence de population humaine, en laissant l’environnement naturel exempt d’intervention dans la plupart des cas. Cécile Aenishaenslin ajoute « C’est un protocole qui doit être administré de façon récurrente et annuellement pour s’assurer que l’effet perdure. Ce n’est pas une démarche qui peut mener à une éradication de la maladie. Elle contribue à réduire le risque d’infections pour les populations qui vivent à proximité, soit en milieu péridomestique, en bordure de sentiers et dans des parcs fréquentés par le public ». 

L’équipe a observé une certaine efficacité avec le projet Bromont, mais elle est partielle. La question est maintenant de savoir pourquoi il en est ainsi. Différentes hypothèses sont à l’étude. « Est-ce parce qu’une plus faible proportion de la population est traitée, comparativement à ce qui était attendu au départ? Ou que les sujets ne consomment pas la bonne dose de l’appât? Est-ce que le métabolisme du médicament est plus rapide que prévu chez les souris? Ces analyses font appel à différentes expertises, car elles touchent à la fois la bioloécologie et la pharmacologie », explique Jean-Philippe Rocheleau. 

Cécile Aenishaenslin souligne que cette technique ne peut, à elle seule régler, le problème. C’est d’ailleurs l’objectif du projet Parcs en santé : de construire une stratégie composée de différents types d’interventions, qui agissent de façon complémentaire. 

Une approche différente

« Quand nous avons développé notre projet à Bromont, nous avons consulté les résultats des recherches menées avant nous aux États-Unis. Des équipes de scientifiques ont travaillé sur des projets financés à coups de millions de dollars, mais avec des résultats peu concluants », explique Catherine Bouchard. Les activités réalisées chez nos voisins du sud consistaient principalement à diminuer le nombre de tiques infectées dans l’environnement, à l’aide d’acaricides, par exemple. En fin de compte, les chercheurs et les chercheuses n’ont pas observé de diminution de cas de maladie de Lyme chez l’humain ni de réduction d’exposition à des piqures de tiques. « C’est en quelque sorte une cible ratée et c’est navrant, considérant tous ces millions investis », mentionne Catherine Bouchard. Nous avons tiré des leçons de ce projet américain, et décidé de viser différentes cibles. En plus de nous attarder aux réservoirs, nous avons ajouté un volet humain, en nous engageant auprès des citoyens et des citoyennes.

Selon Cécile Aenishaenslin, il y a un écart entre la connaissance du risque et l’adoption de comportements adéquats pour se protéger. « C’est encore un problème nouveau pour la population québécoise et même pour la population canadienne, de faire face aux tiques et à la maladie de Lyme », mentionne-t-elle. Néanmoins, dans les régions qui sont aux prises avec les tiques au quotidien, comme à Bromont, les pratiques de prévention sont davantage intégrées dans la communauté.

Il y a une quinzaine d’années, Mme Aenishaenslin a réalisé des enquêtes pour évaluer les connaissances, attitudes et comportements préventifs au sujet de la maladie de Lyme auprès de la population. Le niveau de connaissances était alors très bas. « Maintenant, c’est très différent, car la plupart des gens ont entendu parler des tiques et de la maladie de Lyme. Par contre, moins de 50 % des gens adoptent de bonnes pratiques pour se protéger, et ce, même dans les milieux hautement à risque, comme en Estrie, précise-t-elle.

Le travail des chercheurs et des chercheuses sur le terrain a en outre révélé certaines barrières à l’adoption de comportements préventifs. « L’emploi des insectifuges comme le DEET, qui fonctionne contre les tiques, est une des mesures recommandées pour se protéger des piqûres de tiques par la santé publique. Or, plusieurs personnes ne savent pas comment les utiliser, ou ont peur de la toxicité associée aux produits, alors qu’ils sont très sécuritaires », explique Mme Aenishaenslin. « Il faut également proposer d’autres approches pour la communauté qui vit dans un environnement hautement endémique, car il est impensable d’appliquer du DEET lors de chaque sortie dans la cour », ajoute-t-elle. Est-ce que la cour arrière constitue un milieu à risque? En fait, la question est plutôt de savoir si la cour offre un habitat favorable aux tiques. Par exemple, une cour avec un couvert forestier important, ou un terrain en nature non clôturé qui permet le passage des cerfs serait un endroit plus propice à la présence de tiques. 

Protéger son animal de compagnie

Contrairement aux humains, des traitements antiparasitaires sont offerts pour les animaux, qui s’avèrent très efficaces contre les piqures de tiques. Un vaccin contre la maladie de Lyme est également disponible pour les chiens.  

chien« Il ne faut toutefois pas oublier que l’animal peut également être un véhicule à tiques. Il y a alors un risque pour les propriétaires », mentionne Jean-Philippe Rocheleau. Les facteurs de risque pour l’animal sont les mêmes que pour l’humain : se trouver dans un environnement favorable à être en contact avec la litière de feuilles, dans les herbages et les jardins. L'espèce canine peut collecter beaucoup de tiques, faisant en sorte que la probabilité qu’elle contracte la maladie de Lyme est plus élevée. Il faut donc éviter les secteurs qui sont infestés par les tiques. 

 

Les défis liés à la recherche sur le terrain

L'équipe de recherche doit déployer des efforts considérables lorsqu'elle œuvre sur le terrain et doit faire preuve d’adaptation. Le recrutement d’effectifs expérimentés représente chaque année un casse-tête. « Depuis plusieurs années, nous devons constituer des équipes composées d’une bonne dizaine de personnes pour chacun des endroits couverts, qui sont responsables de collecter les données », explique Jean-Philippe Rocheleau. Chaque échantillon prélevé est précieux, comme il requiert plusieurs heures d’efforts. 

Un des récents enjeux auquel l’équipe a fait face sur le terrain est lié aux nouvelles maladies émergentes. « Nous devons nous assurer que les gens avec qui nous travaillons sont à l’aise de s’exposer à ces risques et qu’ils sont suffisamment informés. Nous avons aussi le devoir de leur fournir l’équipement adéquat pour les protéger durant leur journée de travail », explique Mme Bouchard. Par exemple, l'équipe de recherche offre maintenant aux personnes qui travaillent sur le terrain de revêtir des vêtements imprégnés de perméthrine (un insecticide). Il s’agit d’une nouvelle procédure, en réponse à l’augmentation de l’exposition. « Nous tâchons d’être toujours à l’affût et à la fine pointe sur les méthodes de prévention que nous intégrons », ajoute Mme Bouchard. 

Les scientifiques doivent aussi s’équiper de dispositifs spéciaux de capture vivante pour les rongeurs, et adapter leur installation, car les sites ne sont pas tous uniformes. L’équipe doit de plus, composer avec certaines « pertes ». « Il peut en effet nous arriver de perdre des médicaments ou des stations, comme notre site de recherche se situe en nature », ajoute M. Leighton. 

Ce type de site de recherche amène les chercheurs et les chercheuses à interagir avec les citoyens. « L’interaction avec le public est l’un des aspects intéressants du travail », ajoute Patrick Leighton. Par exemple, il arrive que des randonneurs et des randonneuses posent des questions aux scientifiques qui s’affairent dans une station. « Nous n’avons toutefois pas toujours le temps d’interagir avec les citoyens et les citoyennes comme nous le souhaiterions lorsque nous sommes à l’œuvre sur le terrain », ajoute Catherine Bouchard. Certaines étapes doivent notamment être franchies dans un délai restreint. C’est le cas durant la capture de petits rongeurs qui doit se faire rapidement et selon les normes éthiques. 

Volet d’intervention citoyenne

C’est dans le cadre d’activités organisées spécifiquement pour les citoyens et les citoyennes que l'équipe de recherche a eu l’occasion de prendre le temps de partager pleinement ses connaissances. « Nous tentons de rendre les gens curieux et de les inciter à aller chercher de l’information quand nous faisons des opérations citoyennes. Il y a beaucoup de mauvaises informations qui circulent à propos des tiques. Nous tentons de les adresser et d’apporter des nuances, à travers nos ateliers et en accordant des entrevues aux médias. Nous avons une soif et une volonté de partager les bonnes données », ajoute Mme Bouchard. Les membres de l’équipe ont d’ailleurs donné beaucoup de conférences au fil du temps.

Patrick Leighton s’est longtemps penché sur la surveillance des tiques dans des parcs à travers le Québec, notamment avec l’Institut national de santé publique (INSPQ). Il travaillait à élaborer des cartes de risques en lien avec les tiques. Ces projets avaient une approche observationnelle et non interventionnelle. « Avec les projets Bromont et Parcs en santé, nous avons ajouté un volet d’interactions et des interventions qui impliquent l’humain dans des milieux très urbanisés. Cet aspect de science citoyenne est très riche, mais apporte un niveau de challenge que je n’avais jamais rencontré auparavant », explique Patrick Leighton. 

Travailler avec le public ouvre aussi la porte à des opportunités de collaboration. « Nos projets sont gérés en partenariat », explique Cécile Aenishaenslin. Le Projet Parcs est mené conjointement avec plusieurs chercheurs et chercheuses d’autres facultés et universités et une quinzaine d’organisations et d’institutions, soit des autorités municipales, des ministères, d’autres types d’organisations, comme la SEPAQ. « C’est tout à fait dans l’esprit Une seule santé, car plusieurs expertises sont réunies, dont le ministère de la Santé, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), les directions de la santé publique, le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs », ajoute-t-elle. Chaque instance a ses besoins, ses priorités et ses intérêts. Il y a donc une grande complexité organisationnelle dans le développement du projet qui se reflétera possiblement aussi dans la gestion. Les activités réalisées sur le terrain doivent notamment passer par de multiples paliers d’approbation, comme elles touchent des secteurs publics et privés. 

L’équipe est déjà familière avec cette formule en partenariat avec le projet Bromont, co-financé par la municipalité estrienne et la MRC Brome-Missisquoi. « Ils se sont révélés des partenaires très actifs au cours des quatre dernières années », explique Mme Aenishaenslin. Les communications étaient pilotées par la ville, afin d’assurer une cohésion des messages, et ne pas nuire à la municipalité. « J’estime qu’il est essentiel d’avoir des organisations partenaires dans une approche Une seule santé, afin de considérer les besoins des citoyens et des citoyennes», ajoute-t-elle. 

 « Lorsque nous regardons le nombre de disciplines scientifiques impliquées dans un projet comme Parcs en santé, incluant des aspects de sciences sociales et de changements de comportements chez l’humain, de sciences vétérinaires, de sciences de la santé, de pharmacologie, et des concepts de bio écologie, nous constatons qu’il n’est pas possible, avec une approche unidisciplinaire, de capter l’essence d’un problème multifactoriel comme celui-là.  Cela résume bien ce qu’est l’approche Une seule santé », ajoute Jean-Philippe Rocheleau.  

Catherine Bouchard souligne également l’importance du rôle des membres de la communauté, qui contribuent à faire rayonner l’information à grande échelle. « Dans le projet Bromont, nous avons collaboré avec des individus significatifs. Ils partageaient les renseignements diffusés dans des conférences vers différentes organisations, comme des clubs de personnes âgées, des clubs de course ou de plein air. Ces citoyens et citoyennes deviennent de réels ambassadeurs. Nous les appelions les chercheurs et chercheuses communautaires. Je pense que ces rôles seront de plus en plus présents et déterminants dans le futur, considérant l’émergence de maladies transmises par les tiques » conclut-elle.

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1 Un microprogramme et une maîtrise.