Responsables de la chronique : Mme Christine Theoret, D.M.V. et Dr Younès Chorfi, m.v.
Dr John Morris Fairbrother, B.V.Sc., Ph. D.
PARLEZ-NOUS DE VOS ORIGINES
Fils d’un fonctionnaire et d’une enseignante, j’ai grandi à proximité du désert australien, entouré de ranchs d’élevage bovin et ovin. Gamin, j’inventais toutes sortes d’histoires, question de laisser libre cours à ma grande créativité dans un environnement éloigné des diversions urbaines.
DÉCRIVEZ VOTRE PARCOURS PROFESSIONNEL
Lorsque mon frère et moi achevions nos études secondaires, mes parents ont déménagé la famille à Sydney, facilitant du coup notre accès à des universités réputées. Comme je me passionnais pour la biologie, j’ai décidé de poursuivre mes études en médecine vétérinaire. J’ai obtenu mon diplôme vétérinaire (B.V.Sc) de l’Université de Sydney en 1972, puis j’ai œuvré en pratique mixte pendant cinq ans en région rurale sur la côte est de l’Australie, où j’ai dû faire preuve d’une grande créativité pour moderniser la pratique de mon employeur en développant la radiologie, l’anesthésie et un petit laboratoire de diagnostic. Mon esprit nomade et ma quête de l’âme sœur m’ont toutefois forcé à quitter le village. J’ai repris la route pour Sydney dans l’espoir de perfectionner les rudiments de microbiologie clinique développés dans mon laboratoire de fortune pour ainsi mieux servir mes confrères et consœurs vétérinaires qui, comme moi, étaient confrontés à l’absence d’un laboratoire clinique en Australie. On m’a conseillé d’aller étudier en Amérique, alors mon choix s’est arrêté sur Cornell University où j’ai entamé un programme de maîtrise tout en travaillant au laboratoire de bactériologie du Service de diagnostic. Ce faisant, j’ai découvert une nouvelle voie pour ma créativité, celle de la recherche fondamentale. Après l’obtention d'un doctorat (Ph. D.) de Cornell en 1981, mon âme sœur et moi avons pris la route pour la Faculté de médecine vétérinaire de l'Université de Montréal de Saint-Hyacinthe. J’y ai d’abord travaillé comme agent de recherche au laboratoire du Dr Serge Larivière, puis comme chercheur autonome et, enfin, comme professeur au département de pathologie et microbiologie. À ce titre, j’ai bâti un programme de recherche sur les mécanismes pathogènes et le contrôle des Escherichia coli.
QUELS SONT LES PRINCIPAUX ENJEUX DANS VOTRE DOMAINE DE RECHERCHE?
J’étudie l’E. coli depuis 35 ans, conséquemment, les enjeux ont changé en cours de route... Néanmoins, cette bactérie est toujours d’actualité! D’abord, nous voulions comprendre les mécanismes pathogéniques d’E. coli, agent de plusieurs maladies chez le porc et entraînant des pertes économiques importantes. À l’aide d’études in vivo réalisées sur l’hôte naturel, nous avons confirmé la contribution de cette bactérie et développé des stratégies diagnostiques et de contrôle. Notamment, à la demande de l’industrie, nous avons créé un vaccin, présentement commercialisé au Canada et en Europe par Prevtec Microbia inc., une compagnie dérivée de l’Université de Montréal que j’ai cofondée en 2006 avec mon stagiaire postdoctoral Dr Éric Nadeau. Plus récemment, l’objectif principal de mon laboratoire, nommé par l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) comme laboratoire de référence pour E. coli, est d’étudier l’influence des facteurs environnementaux sur les gènes de virulence et de résistance antimicrobienne d’E. coli dans l’écosystème intestinal de différentes espèces animales, en lien avec l’enjeu majeur d’antibiorésistance.
DE QUELLE RÉALISATION ÊTES-VOUS LE PLUS FIER?
J’aurais pu laisser à l’Université de Montréal la responsabilité de trouver un partenaire industriel pour développer le vaccin contre E. coli, mais j’ai choisi de me relever les manches et de m’y attaquer moi-même. Ce défi était de taille puisqu’il exigeait que je me lance
dans des sphères peu connues du chercheur traditionnel (développement, règlementation, essais cliniques, commercialisation, etc.). C’est avec fierté que je constate la rapidité avec laquelle nous avons atteint nos objectifs et l’envergure qu’a pris notre jeune entreprise
(start-up), aujourd’hui employant 20 personnes et lauréate de plusieurs prix soulignant son caractère innovant.
QUELS SONT LES IMPACTS DE VOTRE RECHERCHE SUR LA PRATIQUE VÉTÉRINAIRE?
Les avancées dans la compréhension des mécanismes de pathologie et de virulence d’E. coli chez le porc ont permis de mieux comprendre l’infection et de prévenir ses impacts économiques et sanitaires sur les élevages porcins. Ces avancées sont applicables aussi à l’humain, car le porc représente un bon modèle d’étude de pathogénicité. La création du vaccin contre E. coli en utilisant une souche non pathogène couronne nos efforts et représente une suite logique à nos travaux de recherche. Plus récemment, depuis 2014, nous sommes face à une nouvelle crise, soit la nature multirésistante de l’E. coli. Avant, si un agent antimicrobien n’arrivait pas à enrayer l’infection, le praticien avait le réflexe de simplement passer à un autre type d’agent antimicrobien. Aujourd’hui, il n’y a plus de remède miracle et, bien que le vaccin soit une arme redoutable, plusieurs facteurs de régie contribuent à faire perdurer l’infection dans certaines circonstances. Les chercheurs et les praticiens doivent collaborer pour comprendre comment se propagent les gènes de résistance d’un élevage à l’autre et pour trouver des solutions innovantes permettant de contrôler cette nouvelle réalité fort complexe.