Depuis toujours, Anthony Estienne est fasciné par les mystères de la formation de la vie et des mécanismes de reproduction. Cette passion l’a naturellement orienté vers une carrière dans ce domaine.
Le Dr Estienne est professeur adjoint au Département de biomédecine vétérinaire de la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal et possède une expertise en biologie de la reproduction et en physiologie ovarienne.
Ses projets de recherche portent sur la fertilité des vaches en élevage, qui a diminué de façon marquée en Amérique du Nord et en Europe au cours des dernières décennies. Cette baisse de fertilité augmente l’intervalle de temps entre deux gestations, affectant le rendement laitier des vaches. Ce phénomène impacte directement l’industrie laitière, un pilier de l’économie canadienne. « Les volumes de production sont si élevés qu’une variation, même minime, se répercute immédiatement sur les revenus », mentionne-t-il.
Les causes de cette décroissance de la fertilité sont multiples. « Nous avons tendance à l’oublier, mais la vache est un animal domestique issu d’une espèce sauvage », explique le Dr Estienne. L’auroch, l’ancêtre de la vache, était un bovin sauvage autrefois présent en Europe et qui a disparu en Pologne au début du 17e siècle. En retirant les aurochs de leur milieu naturel afin de les utiliser pour l’élevage, l’homme a peu à peu favorisé certains caractères. Des races de vaches sont apparues pour la viande, et d’autres pour la production laitière. « Cette sélection génétique très intense a eu des effets pervers », précise-t-il.
Les vaches laitières ont longtemps été sélectionnées pour leur capacité à produire un fort volume de lait, au détriment d’autres caractères. Cette approche a mené à une perte de la diversité génétique, et favorisé l’apparition de problèmes métaboliques, squelettiques, ainsi qu’à une baisse de la fertilité. Une autre tendance dans les élevages laitiers consiste à identifier un « super taureau » capable de produire d’excellentes vaches laitières ou encore une « super vache laitière » qui engendre de précieuses femelles. Ces animaux seront priorisés pour la reproduction. Par exemple, le sperme du « super taureau » est utilisé pour inséminer des centaines, voire des milliers de vaches laitières, ce qui engendre un risque de consanguinité et un appauvrissement de la diversité génétique. « Pour optimiser la fertilité, la sélection génétique en élevage devrait porter sur le plus grand nombre possible de caractères », dit-il. Comme les dommages sont le résultat de décennies de sélections orientées principalement sur la production laitière, il faudra compter sur de nombreuses années pour rétablir l’équilibre.
Des solutions ont été envisagées chez d’autres espèces, telles que le rétrocroisement. Cette méthode consiste à utiliser des souches sauvages ou très peu sélectionnées, et à les croiser avec des souches hautement sélectionnées pour réintroduire de la diversité génétique. Ce principe ne peut pas être appliqué à la vache, puisque l’auroch, son ancêtre sauvage, a disparu. Des croisements entre des races de vaches rustiques et des races très sélectionnées pourraient toutefois être envisagés. Cette méthode risque cependant de causer une réduction significative de la productivité laitière et une hausse des prix. Le retour à des vaches présentant une diversité génétique plus riche, fondée sur plusieurs critères, prendra du temps. « Il est important de prévenir une perte brusque de productivité », explique-t-il.
Petit follicule à antrum
Dans son laboratoire, Anthony Estienne cherche à comprendre les mécanismes à l’origine de la baisse de fertilité chez la vache. Il étudie la croissance de l’ovocyte dans l’ovaire, soit la folliculogenèse ovarienne, et la régulation de ce processus selon différents facteurs. Il travaille à développer un modèle novateur de culture de follicules ovariens in vitro chez la vache, qui reproduit le plus fidèlement possible les conditions in vivo.
Ultimement, le Dr Estienne vise à produire un ovocyte fertilisable à partir de cellules cultivées in vitro. La culture de follicules in vitro est déjà éprouvée chez la souris, mais du travail reste à faire pour l’appliquer aux plus grands mammifères. « Le défi consiste à s’approcher des conditions in vivo, ce qui reste très complexe à reproduire parfaitement en in vitro. Il y a de nombreux acteurs moléculaires et des variations métaboliques à prendre en compte », précise-t-il.
Ses découvertes permettront d’approfondir les connaissances de la fonction ovarienne bovine et pourront être transposées à d’autres espèces de mammifères. Par exemple, la sélection génétique a également influencé l’espèce porcine. Des truies ont été sélectionnées au fil du temps pour leur capacité reproductive, certaines pouvant donner naissance à 20 ou 22 porcelets par portée. Cependant, avec seulement 16 à 18 tétines, la truie ne peut nourrir tous ses petits. Dans ce contexte, les travaux du Dr Estienne pourraient aider à réguler une hyper fertilité.
Sa recherche pourrait aussi bénéficier aux espèces en voie de disparition à faible taux de reproduction. Leur capacité reproductive pourrait être augmentée grâce à des méthodes in vitro, avec l’aide de mères porteuses. Le modèle de culture de follicules ovariens in vitro du Dr Estienne pourrait même ouvrir la voie à de nouveaux traitements contre l’infertilité humaine. « Il existe de nombreux traits communs entre les ovaires de mammifères, ce qui permet d’adapter des éléments entre les espèces », mentionne-t-il.
Dr Estienne souligne que la recherche est un domaine complexe qui nécessite des investissements substantiels en temps et en ressources financières. Selon lui, il est important de sensibiliser le public aux nombreux bénéfices de la recherche, que ce soit en agronomie, en santé humaine, ou pour l’environnement. « La recherche est essentielle à l’évolution de notre civilisation. Sans les avancées en biomédecine, en physique ou en chimie, notre qualité de vie ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui », conclut-il.